La biodiversité est en danger. Selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le taux d’extinction des espèces est aujourd’hui 100 à 1 000 fois plus élevé qu’au cours des temps géologiques passés. L’urgence est donc grande de freiner drastiquement cette érosion et protéger efficacement la biodiversité qui reste. Or pour la protéger, il faut bien la connaître, et ce grâce à des données fiables et comparatives. Lors du dernier congrès de l’UICN de septembre 2021, le président de la République a affirmé dans son discours d’ouverture qu’« on avait besoin d’outils scientifiques rigoureux, puissants, robustes, pour aller mesurer et évaluer l’évolution de la biodiversité ». Et c’est bien là tout l’intérêt de l’utilisation de l’ADN environnemental comme outil de détection d’espèces et de surveillance de la biodiversité. On vous dit tout sur l’ADN environnemental et ses formidables promesses.
Définition et enjeux de l’ADN environnemental
Qu’est-ce que l’ADN ?
L’ADN (ou Acide désoxyribonucléique) est une longue molécule que l’on retrouve dans tous les organismes. C’est la molécule qui contient le code génétique d’une cellule vivante ou extracellulaire contenu par exemple, dans les plantes et les animaux. C’est donc le support de l’information génétique et de l’ensemble des caractères héréditaires d’une cellule.
Cet acide présent dans le noyau de chaque cellule forme les chromosomes, ressemblant à des échelles constituées de quatre types de barreaux : les quatre nucléotides, sous-unités de l’ADN.
Les nucléotides contiennent les bases azotées adénine (A), guanine (G), cytosine (C) et thymine (T). Les bases s’assemblent selon une complémentarité exclusive : A s’apparie uniquement avec T et G avec C. Ce qui est primordial dans l’ADN, c’est l’ordre de ces combinaisons AGCT. Le génome correspond donc à la succession de ces 4 nucléotides, dans une combinaison propre à chaque être vivant.
Le rôle de l’ADN de l'environnement
Spygen, laboratoire français précurseur dans le développement des méthodes d’inventaires de la biodiversité basées sur l’étude de l’ADN, définit l’ADN environnemental (ADNe) comme « l’ADN pouvant être extrait à partir d’échantillons environnementaux, tels que l’eau, le sol ou les fèces, sans avoir besoin d’isoler au préalable des organismes cibles ». Il s’agit des cellules collectées dans l’environnement et « perdues » par les espèces vivantes présentes dans un milieux. Par exemple, un fragment de feuille ou de sève d’une plante, une cellule épithéliale (fragment de peau) d'un mammifère qui s'est gratté ou d'un poil tombé, les déjections d'un animal , etc.
L’ADNe est donc du matériel génétique issu d’un échantillon environnemental : prélèvement d’eau douce ou d’eau salée, sédiments, humus, salive, urine, fèces, gamètes, décomposition d’animaux morts, etc. Ces cellules (intactes ou non) contenant de l’ADN sont libérées en permanence dans l’environnement par tout organisme vivant. Elles peuvent de plus persister dans le milieu entre quelques jours (dans les milieux aquatiques) et des centaines de milliers d’années (dans le sédiment ou le permafrost). Elles représentent une quantité phénoménale de matériel génétique pouvant être analysé, et donc séquencé, c’est-à-dire lu.
Mais en quoi l’ADNe est-il utile ?
Les enjeux de l’ADNe
Mieux connaître la biodiversité pour mieux la protéger. L’enjeu premier de l’utilisation de l’ADN pourrait se résumer dans cette simple phrase. Pour envisager une protection efficace des écosystèmes, il est impératif d’inventorier les espèces présentes. De là découleront les stratégies et les actions pertinentes à mettre en place.
Le recensement du code génétique des espèces permet la création d'une base de données qui participe au développement de la connaissance sur la biodiversité.
L'ADNe est un outil qui permet une identification et un suivi efficace du vivant avec pour vocation de mieux connaître les espèces vivantes et protéger l'environnement.
Le principe de la méthode fondée sur l’ADNe
Étudier un écosystème à partir d’échantillons d’ADN environnemental est un procédé à la fois plus simple et plus complexe que les méthodes traditionnelles. La méthode de récolte est simplifiée, puisque pour effectuer les prélèvements, il suffit d’un nombre restreint de personnes, ainsi que d’un matériel peu encombrant.
En revanche, étudier les échantillons récoltés demande un équipement et des connaissances plus techniques et complexes.
L'intervention d'experts s'avère par exemple nécessaire lorsqu'une espèce d'intérêt ou invasive est identifiée. L'expertise humaine de terrain reste indispensable, mais elle est grandement aidée par l'ADNe.
L’étude d’un écosystème fondée sur l’analyse de l’ADN environnemental suit sept étapes :
Prélèvement et conservation de l’échantillon
Extraction de l’ADN
Amplification de l’ADN avec un couple d'amorces universel (PCR)
Contrôle de l’amplification par électrophorèse capillaire
Purification de l’ADN
Séquençage nouvelle génération de produits purifiés
Analyse bio-informatique
C’est la similarité des séquences ADN qui permet de déterminer la présence de certaines espèces animales dans l’environnement d’où provient l’échantillon d’ADNe, contribuant ainsi à l’inventaire de la biodiversité présente.
On voit donc ici l'intérêt majeur de développer la base de données ADNe des espèces vivantes. Plus le catalogue sera important, plus il sera possible d'identifier et suivre la biodiversité dans tous les milieux naturels.
Quels sont les avantages de la recherche par ADN environnemental ?
Une solution qui répond aux limites des méthodes traditionnelles de surveillance
Si l’on prend l’exemple de la surveillance des cours d’eau et des espèces qui les peuplent, les méthodes traditionnelles sont pour la plupart extrêmement invasives à l’égard des espèces recensées. On peut citer la pêche électrique, technique utilisée pour recenser les poissons présents dans un milieu. Un prélèvement d’ADNe est à l’extrême opposé de telles méthodes, puisqu’on ne récupère pas les échantillons directement sur la faune, mais sur les traces d’ADNe que celle-ci laisse dans son environnement. Ainsi, aucun prélèvement n'est réalisé directement sur les animaux ou plantes.
Plus de facilité dans la surveillance de la biodiversité
Détecter la présence d’une espèce dans un écosystème donné est plus facile en procédant à un échantillonnage d’ADNe : il n’y a plus besoin d’avoir un individu devant soi pour être assuré de la présence de l’espèce dans l’environnement étudié, mais seulement d’une trace infime de son passage.
Une mise en œuvre plus facile et moins onéreuse
Procéder à l’inventaire de la biodiversité d’un écosystème demande moins de personnel, moins de matériel et donc moins de frais. En effet, il suffit d’une équipe réduite pourvue du matériel nécessaire à l’échantillonnage pour opérer, à la différence des effectifs que nécessite la mise en place d’un recensement classique des espèces. Le facteur temps n’est pas à négliger non plus : prélever l’ADNe est une tâche qui s’effectue rapidement, et ce dans la plupart des conditions météorologiques.
Des campagnes de terrain plus efficaces
L'ADNe permet de filtrer la masse d'information sur les espèces présentes dans un milieu pour faire intervenir les experts de terrain spécifiquement sur les points d'intérêt identifiés. C'est une technique qui participe à l'augmentation de l'efficacité des campagnes de terrain.
Étudier la biodiversité sans lui nuire
Les méthodes de prélèvement d’ADNe n’introduisent aucun agent pathogène ou nocif dans l’écosystème et répondent au cadre réglementaire du Code de l’environnement.
Une mesure de la biodiversité à petite échelle
Procéder à un échantillonnage d’ADNe permet non seulement de recenser les espèces animales présentes dans un écosystème, mais aussi de révéler la présence de formes de vie difficilement détectables autrement, comme les microbes, le plancton, les bactéries, etc.
De même, si une espèce jugée nuisible ou invasive commence à s’introduire sur un territoire qu’il faudrait préserver, un échantillon d’ADNe permet de s’en rendre compte de façon fiable et rapide. Car cette technologie permet également d'identifier plus précisément ce type d’espèces invasives ou nuisibles. Ainsi une identification précoce et précise des espèces invasives facilite la lutte contre leur expansion.
Des exemples d’applications concrètes de l'ADNe
En véritable révolution pour l’étude de la biodiversité, l’ADN environnemental peut être utilisé dans divers cadres : de l’inventaire de la biodiversité (Atlas de la Biodiversité Communale par exemple) à l’évaluation de la ressource écologique d’un cours d’eau, en passant par la détection d’espèces exotiques envahissantes, ou encore des études d’impact…
En voici deux exemples concrets.
L’eBioAtlas
D’une initiative conjointe entre l’UICN et Naturemetrics, l’un des principaux fournisseurs mondiaux de services de surveillance et d’intelligence naturelle utilisant l’ADN environnemental, est né l’eBioAtlas, atlas global de l’état de la faune aquatique grâce à la collecte d’ADNe.
Le but de cette initiative est de rendre prioritaires les programmes pour la biodiversité ou surtout de mettre à jour la liste rouge des animaux menacés, qui constitue l’inventaire mondial le plus complet de l’état de conservation global des espèces végétales et animales.
Vigilife
Plateforme multiacteurs, Vigilife a développé un Observatoire mondial du vivant avec pour principale mission de « mettre l’innovation au service de la connaissance et de la protection du vivant ».
Utilisant les technologies de l’ADNe, il propose à ses partenaires des méthodes standardisées et validées scientifiquement pour comparer les données collectées.
Grâce à une diffusion en Open Data, les scientifiques, les gestionnaires de l’environnement, les décideurs du monde entier, voire le grand public auront accès rapidement et gratuitement aux données d’évolution d’une espèce, ainsi qu’aux actions de conservation ou de restaurations réalisées par les partenaires de Vigilife.
L’inventaire de la biodiversité par prélèvement d’ADNe connaît néanmoins quelques limites.
Le recueil de certaines données limité par l’analyse d’ADN environnemental
Le nombre d’animaux présents
Par une analyse de l’ADNe, il est impossible de déterminer la taille de la population des différentes espèces recensées. En effet, un échantillon faisant état de la présence d’une espèce dans tel écosystème ne peut conduire à aucune conclusion concernant le nombre d’individus de cette espèce dans une zone donnée. La forte présence d’ADN dans un échantillon serait plus le résultat de la proximité et non de la quantité de l’espèce.
Les espèces hybrides
L’hybridation repose sur un mélange génétique de deux espèces proches. Les espèces hybrides sont ainsi difficiles à distinguer les unes des autres par l’analyse d’ADNe. Selon la séquence ADN amplifiée et analysée, le résultat peut indiquer la présence d’une espèce dans l’écosystème, alors qu’il pourrait s’agir d’une sous-espèce voisine ou d’un hybride.
Les informations relatives aux individus
Un échantillonnage d’ADNe ne permet pas de collecter d’informations précises sur les individus, notamment s’ils sont vivants ou morts, ni même leurs mensurations, leur âge, leur sexe, etc. Or ces données peuvent être cruciales dans certains domaines d’étude.
Les espèces végétales
La flore offre pour l’instant davantage de résistance aux investigations reposant sur la technique d’identification par ADN, car les espèces végétales sont plus difficiles à discerner les unes des autres.
Mais une technique prometteuse…
Les limites susmentionnées ne doivent pas occulter les avantages indéniables de cette technique qui évolue à grande vitesse et semble vouée à un avenir très prometteur. Les dernières expérimentations ont d’ailleurs permis de déceler des espèces de faune locale dans des échantillons d’air, comme on peut le voir dans cette vidéo :
En tant qu’acteur de la protection de l’environnement et de la biodiversité, l’équipe de Foresteam a tout de suite été séduite par cette technologie révolutionnaire. La formation à la méthodologie de prélèvement développée par Spygen a été suivie par nos collaborateurs et Foresteam est aujourd’hui habilitée à prélever de l’ADNe.
L’aventure de l’ADN environnemental a commencé dans le milieu aquatique, elle devient maintenant une réalité dans les airs et elle promet à court terme de très beaux résultats en termes de détection de la faune et la flore locales terrestres.
Et certains pensent même y avoir trouvé le moyen d’enfin prouver l’existence d’espèces mythiques telles que le monstre du Loch Ness ou le Yéti de l’Himalaya ! L’ADNe n’a pas fini de nous surprendre…
L’équipe Foresteam
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